Introduction à
l'analyse structurale des récits Roland Barthes
Barthes Roland.
Introduction à l'analyse structurale des récits. In: Communications, 8, 1966.
Recherches sémiologiques : l'analyse structurale du récit. pp. 1-27
La linguistique ne saurait donc se donner un objet supérieur
à la phrase, parce qu'au-delà de la phrase, il n'y a jamais que d'autres
phrases : ayant décrit la fleur, le botaniste ne peut s'occuper de décrire le
bouquet.
le discours a ses unités, ses règles, sa « grammaire » :
au-delà de la phrase et quoique composé uniquement de phrases, le discours doit
être naturellement l'objet d'une seconde linguistique.
Cette lin le discours
serait une grande « phrase » (dont les unités ne sauraient être nécessairement
des phrases), tout comme la phrase, moyennant certaines spécifications, est un
petit « discours ». guistique du discours,
structurellement, le récit participe de la phrase, sans
pouvoir jamais se réduire à une somme de phrases : le récit est une grande
phrase, comme toute phrase constative est, d'une certaine manière, l'ébauche
d'un petit récit
on retrouve en effet dans le récit, agrandies et
transformées à sa mesure, les principales catégories du verbe : les temps, les
aspects, les modes, les personnes; de plus, les « sujets » eux-mêmes opposés
aux prédicats verbaux, ne laissent pas de se soumettre au modèle phrastique :
la typologie actantielle proposée par A. J. Greimas 2 retrouve dans la
multitude des personnages du récit les fonctions élémentaires de l'analyse
grammaticale.
il permet à la fois d'énoncer comment un récit n'est pas une
simple somme de propositions et de classer la masse énorme d'éléments qui
rentrent dans la composition d'un récit. Ce concept est celui de niveau de
description K
toute unité qui appartient à un certain niveau ne prend de
sens que si elle peut s'intégrer dans un niveau supérieur : un phonème, quoique
parfaitement descriptible, en soi ne veut rien dire; il ne participe au sens
qu'intégré dans un mot ; et le mot lui-même doit s'intégrer dans la phrase 2.
« En termes quelque peu vagues, un niveau peut être
considéré comme un système de symboles, règles, etc. dont on doit user pour
représenter les expressions.
dans son analyse de la structure du mythe, Lévi-Strauss a
déjà précisé que les unités constitutives du -discours mythique (mythèmes)
n'acquièrent de signification que parce qu'elles sont groupées en paquets et
que ces paquets eux-mêmes se combinent 6;
T. Todorov, reprenant la distinction des Formalistes russes,
propose de travailler sur deux grands niveaux, eux-mêmes subdivisés : Vhistoire
(l'argument), comprenant une logique des actions et une « syntaxe » des
personnages, et le discours, comprenant les temps, les aspects et les modes du
récit 6.
le récit soit une hiérarchie d'instances. Comprendre un
récit, ce n'est pas seulement suivre le dévidement de l'histoire, c'est aussi y
reconnaître des « étages », projeter les enchaînements horizontaux du « fil »
narratif sur un axe implicitement vertical; lire (éouter) un récit, ce n'est
pas seulement passer d'un mot à l'autre, c'est aussi passer d'un niveau à
l'autre. le sens n'est pas « au bout » du récit, il le traverse; tout aussi
évident que la Lettre volée, il n'échappe pas moins qu'elle à toute exploration
unilatérale.
On propose de distinguer dans l'œuvre narrative trois
niveaux de description : le niveau des « fonctions » (au sens que ce mot a chez
Propp et chez Bremond), le niveau des « actions » (au sens que ce mot a chez
Greimas lorsqu'il parle des personnages comme d'actants), et le niveau de la «
narration » (qui est, en gros, le niveau du « discours » chez Todorov). On
voudra bien se rappeler que ces trois niveaux sont liés entre eux selon un mode
d'intégration progressive : une fonction n'a de sens que pour autant qu'elle
prend place dans l'action générale d'un actant; et cette action elle-même
reçoit son sens dernier du fait qu'elle est narrée, confiée à un discours qui a
son propre code.
La détermination des unités. Tout système étant la
combinaison d'unités dont les classes sont connues, il faut d'abord découper le
récit et déterminer les segments du discours narratif que l'on puisse
distribuer dans un petit nombre de classes; en un mot, il faut définir les plus
petites unités narratives.
c'est le caractère fonctionnel de certains segments de
l'histoire qui en fait des unités
J. Greimas, qui en vient à définir l'unité par sa
corrélation paradigmatique, mais aussi par sa place à l'intérieur de l'unité
syntagmatique dont elle fait partie.
L'âme de toute fonction, c'est, si l'on peut dire, son germe
du sens ce qui lui permet d'ensemencer le récit d'un élément qui mûrira plus
tard
l'énoncé de ce détail (quelle qu'en soit la forme
linguistique) constitue donc une fonction, ou unité narrative.
Il n'en reste pas moins qu'un récit n'est jamais fait que de
fonctions : tout, à des degrés divers, y signifie
ce qui est noté est, par définition, notable
La fonction est évidemment, du point de vue linguistique,
une unité de contenu : c'est ce ce que veut dire » un énoncé qui le constitue
en unité fonctionnelle 4, non la façon dont cela est dit
Fonctions et Indices, la relation de l'unité et de son
corrélat n'est plus alors distributionnelle (souvent plusieurs indices
renvoient au même signifié et leur ordre d'apparition dans le discours n'est
pas nécessairement pertinent), mais intégrative; pour comprendre « à quoi sert
» une notation indicielle, il faut passer à un niveau supérieur (actions des
personnages ou narration), car c'est seulement là que se dénoue l'indice; la
puissance administrative qui est derrière Bond, indexée par le nombre des
appareils téléphoniques, n'a aucune incidence sur la séquence d'actions où
s'engage Bond en acceptant la communication; elle ne prend son sens qu'au
niveau d'une typologie générale des actants (Bond est du côté de l'ordre) ; les
indices, par la nature en quelque sorte verticale de leurs relations, sont des
unités véritablement sémantiques, car, contrairement aux « fonctions »
proprement dites, ils renvoient à un signifié, non à une « opération »
Certains récits sont fortement fonctionnels (tels les contes
populaires), et à l'opposé certains autres sont fortement indiciels (tels les
romans « psychologiques »)
Pour reprendre la classe des Fonctions, ses unités n'ont pas
toutes la même « importance »; certaines constituent de véritables charnières
du récit (ou d'un fragment du récit) ; d'autres ne font que « remplir »
l'espace narratif qui sépare les fonctionscharnières : appelons les premières
des fonctions cardinales (ou noyaux) et les secondes, eu égard à leur nature
complétive, des catalyses.
il est toujours possible de disposer des notations
subsidiaires, qui s'agglomèrent autour d'un noyau ou d'un autre sans en
modifier la nature alternative : l'espace qui sépare « le téléphone sonna » et
« Bond décrocha » peut être saturé par une foule de menus incidents ou de
menues descriptions : « Bond se dirigea vers le bureau, souleva un récepteur,
posa sa cigarette », etc
catalyses restent fonctionnelles, dans la mesure où elles
entrent en corrélation avec un noyau,
Tout laisse à penser, en effet, que le ressort de l'activité
narrative est la confusion même de la consecution et de la conséquence, ce qui
vient après étant lu dans le récit comme causé par;
les fonctions cardinales sont les moments de risque du
récit; e es catalyses disposent des zones de sécurité,
une notation, elle accélère, retarde, relance le discours,
elle résume, anticipe, parfois même déroute * : le noté apparaissant toujours
comme du notable, la catalyse réveille sans cesse la tension sémantique du discours,
dit sans cesse : il y a eu, il va y avoir du sens; la fonction constante de la
catalyse est donc, en tout état de cause, une fonction phatique (pour reprendre
le mot de Jakobson) : elle maintient le contact entre le narrateur et le
narrataire. Disons qu'on ne peut supprimer un noyau sans altérer l'histoire,
mais qu'on ne peut non plus supprimer une catalyse sans altérer le discours.
Quant à la seconde grande classe d'unités narratives (les
Indices), classe intégrative, les unités qui s'y trouvent ont en commun de ne
pouvoir être saturées (complétées) qu'au niveau des personnages ou de la
narration; elles font donc partie d'une relation paramétrique2, dont le second
terme, implicite, est continu, extensif à un épisode, un personnage ou une
œuvre tout entière; on peut cependant y distinguer des indices proprement dits,
renvoyant à un caractère, à un sentiment, à une atmosphère (par exemple de
suspicion), à une philosophie, et des informations, qui servent à identifier, à
situer dans le temps et dans l'espace. Dire que Bond est de garde dans un
bureau dont la fenêtre ouverte laisse voir la lune entre de gros nuages qui
roulent, c'est indexer une nuit d'été orageuse, et cette déduction elle-même
forme un indice atmosphériel qui renvoie au climat lourd, angoissant d'une
action que l'on ne connaît pas encore. Les indices ont donc toujours des
signifiés implicites;
Les indices impliquent une activité de déchiffrement :
l'informant (par exemple l'âge précis d'un personnage) sert
à authentifier la réalité du réfèrent, à enraciner la fiction dans le réel :
c'est un opérateur réaliste, et à ce titre, il possède une fonctionnalité
incontestable, non au niveau de l'histoire, mais au niveau du discours
Noyaux et catalyses, indices et informants (encore une fois
peu importe les noms), telles sont, semble- t-il, les premières classes entre
lesquelles on peut répartir les unités du niveau fonctionnel.
Tout d'abord, une unité peut appartenir en même temps à deux
classes différentes : boire un whisky (dans un hall d'aéroport) est une action
qui peut servir de catalyse à la notation (cardinale) d'attendre, mais c'est
aussi et en même temps l'indice d'une certaine atmosphère (modernité, détente,
souvenir, etc.) : autrement dit, certaines unités peuvent être mixtes. T
Les catalyses, les indices et les informants ont en effet un
caractère commun : ce sont des expansions, par rapport aux noyaux : les noyaux
(on va le voir à l'instant) forment des ensembles finis de termes peu nombreux,
ils sont régis par une logique, ils sont à la fois nécessaires et suffisants;
cette armature donnée, les autres unités viennent la remplir selon un mode de
prolifération en principe infini; on le sait, c'est ce qui se passe pour la
phrase, faite de propositions simples, compliquées à l'infini de duplications,
de remplissages, d'enrobements, etc. : comme la phrase, le récit est infiniment
catalysable. Mallarmé
« mots-nœuds » et ses « mots-dentelles » comme le blason de
tout récit — de tout langage
La syntaxe fonctionnelle : Comment, selon quelle «
grammaire », ces différentes unités s'enchaînent-elles les unes aux autres le
long du syntagme narratif?
Les informants et les indices peuvent librement se combiner
entre eux : tel est par exemple le portrait, qui juxtapose sans contrainte des
données d'état civil et des traits caractériels.
une relation d'implication simple unit les catalyses et les
noyaux
les expansions sont supprimables, les noyaux ne le sont
pas), ensuite parce qu'elle préoccupe principalement ceux qui cherchent à
structurer le récit
Y a-t-il derrière le temps du récit une logique
intemporelle?
PROPP le temps est à ses yeux le réel, et pour cette raison
il lui paraît nécessaire d'enraciner le conte dans le temps
ARISTOTE /la primauté au logique sur le chronologique
parvenir à donner une description structurale de l'illusion
chronologique ; c'est à la logique narrative à rendre compte du temps narratif.
On pourrait dire d'une autre façon que la temporalité n'est
qu'une classe structurelle du récit (du discours), tout comme dans la langue,
le temps n'existe que sous forme de système; du point de vue du récit, ce que
nous appelons le temps n'existe pas, ou du moins n'existe que
fonctionnellement, comme élément d'un système sémiotique :
le temps n'appartient
pas au discours proprement dit, mais au réfèrent; le récit et la langue ne
connaissent qu'un temps sémiologique ; l
l'illusion est en effet produite par le discours lui-même.
Bremond : saisit
les personnages au moment où ils choisissent d'agir.
Le second modèle, est linguistique (Lévi-Strauss, Greimas) :
la préoccupation essentielle de cette recherche est de retrouver dans les
fonctions des oppositions paradigmatiques,
Todorov est quelque peu différente, car elle installe
l'analyse au niveau des « actions » (c'est-à-dire des personnages), en essayant
d'établir les règles par lesquelles le récit combine, varie et transforme un
certain nombre de prédicats de base.
Une séquence est une suite logique de noyaux, unis entre eux
par une relation de solidarité 8 : la séquence s'ouvre lorsque l'un de ses
termes n'a point d'antécédent solidaire et elle se ferme lorsqu'un autre de ses
termes n'a plus de conséquent.
La séquence est en effet toujours nommable
micro-séquences
on peut imaginer qu'elles font partie d'un métalangage
intérieur au lecteur (à l'auditeur) lui-même, qui saisit toute suite logique
d'actions comme un tout nominal : lire, c'est nommer; écouter, ce n'est pas
seulement percevoir un langage, c'est aussi le construire.
la logique close qui structure une séquence est indissolublement
liée à son nom :
Voici une micro-séquence : tendre la main, la serrer, la
rélâcher; cette Salutation devient une simple fonction : d'une part, elle prend
le rôle d'un indice (mollesse de du Pont et répugnance de Bond), et d'autre
part elle forme globalement le terme d'une séquence plus large, dénommée
Rencontre, dont les autres termes (approche, arrêt, interpellation, salutation,
installation) peuvent être eux-mêmes des micro-séquences. Tout un réseau de
subrogations structure ainsi le récit, des plus petites matrices aux plus
grandes fonctions. Il s'agit là, bien entendu, d'une hiérarchie qui reste
intérieure au niveau fonctionnel
Il y a donc à la fois une syntaxe intérieure aux séquences
et une syntaxe des séquences entre elles.
Mais ce qu'il faut noter, c'est que les termes de plusieurs
séquences peuvent très bien s'imbriquer les uns dans les autres : une séquence
n'est pas finie, que, déjà, s'intercalant, le terme initial d'une nouvelle
séquence peut surgir :
Vers un statut structural des personnages.
Dans la Poétique aristotélicienne, la notion de personnage
est secondaire, entièrement soumise à la notion d'action : il peut y avoir des
fables sans « caractères », dit Aristote,
le personnage a cessé d'être subordonné à l'action, il a
incarné d'emblée une essence psychologique;
L'analyse structurale, très soucieuse de ne point définir le
personnage en termes d'essences psychologiques
Mais de définir le personnage non comme un « être », mais
comme un « participant ».
Pour Cl. Bremond, chaque personnage peut être l'agent de
séquences d'actions qui lui sont propres
en somme, chaque personnage, même secondaire, est le héros
de sa propre séquence.
T. Todorov, analysant un roman « psychologique » (Les
Liaisons dangereuses) part, non des personnages-personnes, mais des trois
grands rapports dans lesquels ils peuvent s'engager et qu'il appelle prédicats
de base (amour, communication, aide); ces rapports sont soumis par l'analyse à
deux sortes de règles : de dérivation lorsqu'il s'agit de rendre compte
d'autres rapports et d'action lorsqu'il s'agit de décrire la
transformation de ces rapports au cours de l'histoire
il y a beaucoup de personnages dans Les Liaisons
dangereuses, mais « ce qu'on en dit » (leurs prédicats) se laisse classer.
Enfin, A. J. Greimas a proposé de décrire et de
classer les personnages du récit, non selon ce qu'ils sont, mais selon ce
qu'ils, font (d'où leur nom d'octants), pour autant qu'ils
participent à trois grands axes sémantiques, que l'on retrouve d'ailleurs dans
la phrase (sujet, objet, complément d'attribution, complément circonstantiel)
et qui sont la communication, le désir (ou la quête) et l'épreuve1;
comme cette participation s'ordonne par couples, le monde infini des
personnages est lui aussi soumis à une structure paradigmatique (Sujet
/Objet, Donateur /Destinataire, Adjuvant /Opposant), projetée le long du
récit; et comme l'actant définit une classe, il peut se remplir d'acteurs
différents, mobilisés selon des règles de multiplication, de substitution ou
de carence.
En gros il s’agit de
définir le personnage par sa participation à une sphère d'actions
ces sphères étant peu nombreuses, typiques, classables;
des grandes articulations de la praxis (désirer,
communiquer, lutter
les problèmes soulevés par une classification des
personnages du récit ne sont pas encore bien résolus.
à l'intérieur d'une œuvre, une même figure peut absorber des
personnages différents la psychanalyse l’a prouvé
La véritable difficulté posée par la classification des
personnages est la place (et donc l'existence) du sujet dans toute matrice
actantielle, quelle qu'en soit la formule. Qui est le sujet (le héros) d'un
récit? Y a-t-il — ou n'y a-t-il pas une classe privilégiée d'acteurs?
beaucoup de récits mettent aux prises, autour d'un enjeu,
deux adversaires, dont les « actions » sont de la sorte égalisées; le sujet est
alors véritablement double, le récit à la structure de certains jeux (fort
modernes), dans lesquels deux adversaires égaux désirent conquérir un objet mis
en circulation par un arbitre le jeu lui aussi est une phrase K une fois de
plus, il faudra se rapprocher de la linguistique pour pouvoir décrire et
classer l'instance personnelle (je/tu) ou apersonnelle (il) singulière, duelle
ou plurielle, de l'action. Ce seront — peut-être — les catégories grammaticales
de la personne (accessibles dans nos pronoms) qui donneront la clef du niveau
actionnel.
Par exemple : les récits ou l'objet et le sujet se
confondent dans un même personnage sont les récits de la quête de soi-même, de
sa propre identité [L'Ane d'or) ; récits où le sujet poursuit des objets
successifs (Mme Bovary), etc.
1.
La communication
narrative.
le récit, comme objet, est l'enjeu d'une communication : il
y a un donateur du récit, il y a un destinataire du récit.
il est de décrire le code à travers lequel narrateur et
lecteur sont signifiés le long du récit lui-même. Les signes du narrateur
paraissent à première vue plus visibles et plus nombreux que les signes du
lecteur (un récit dit plus souvent je que tu
Qui est le donateur du récit?
Trois conceptions semblent avoir été, jusqu'ici, énoncées
le récit (notamment le roman) n'est alors que l'expression
d'un je qui lui est extérieur. La deuxième conception fait du narrateur une
sorte de conscience totale, apparemment impersonnelle, qui émet l'histoire d'un
point de vue supérieur, celui de Dieu 3 : le narrateur est à la fois intérieur
à ses personnages (puisqu'il sait tout ce qui se passe en eux) et extérieur
(puisqu'il ne s'identifie jamais avec l'un plus qu'avec l'autre). La troisième
conception, la plus récente (HenryJames, Sartre) édicté que le narrateur doit
limiter son récit à ce que peuvent observer ou savoir les personnages : tout se
passe comme si chaque personnage était tour à tour l'émetteur du récit.
Or, du moins à notre point de vue, narrateur et
personnages sont essentiellement des « êtres de papier »; l'auteur (matériel)
d'un récit ne peut se confondre en rien avec le narrateur de ce récit *; les
signes du narrateur sont immanents au récit, et par conséquent parfaitement
accessibles à une analyse sémiologique; mais pour décider que l'auteur lui-même
(qu'il s'affiche, se cache ou s'efface) dispose de « signes » dont il
parsèmerait son œuvre, il faut supposer entre la « personne »
l'analyse structurale : qui parle (dans le récit) n'est pas
qui écrit (dans la vie) et qui écrit n'est pas qui est
. J. Lacan : « Le sujet dont je parle quand je parle est-il
le même que celui qui parle ? »
En fait, la narration proprement dite (ou code du narrateur)
ne connaît, comme d'ailleurs la langue, que deux systèmes de signes : personnel
et a-personnel; ces deux systèmes ne bénéficient pas forcément des marques
linguistiques attachées à la personne (je) et à la non-personne (il) ; il peut
y avoir, par exemple, des récits, ou tout au moins des épisodes, écrits à la
troisième personne et dont l'instance véritable est cependant la première
personne. Comment en décider?
Il est certain que l'a-personnel est le mode traditionnel du
récit, la langue ayant élaboré tout un système temporel, propre au récit
(articulé sur l'aoriste a), destiné à évincer le présent de celui qui parle : «
Dans le récit, dit Benveniste, personne ne parle. »
(Cinq heures vingt-cinq) ne maintient l'énigme qu'en
trichant sur la personne de la narration : un personnage est décrit de
l'intérieur, alors qu'il est déjà le meurtrier 3 : tout se passe comme si dans
une même personne il y avait une conscience de témoin, immanente au discours,
et une conscience de meurtrier, immanente au réfèrent :
Tricher sur les personnes sans cependant pouvoir toujours
l'honorer jusqu'au bout. Cette rigueur — recherchée par certains écrivains
contemporains — n'est pas forcément un impératif esthétique
tout le logos étant ramené — ou étendu — à une lexis
Le niveau narrationnel est donc occupé par les signes de la
narrativité
Il faut y ajouter évidemment l'écriture dans son ensemble,
car son rôle n'est pas de a transmettre » le récit, mais de l'afficher.
Ceci explique que le code narrationnel soit le dernier
niveau que notre analyse puisse atteindre
au-delà du niveau narrationnel, commence le monde,
c'est-à-dire d'autres systèmes (sociaux, économiques, idéologiques), dont les
termes ne sont plus seulement les récits, mais des éléments d'une autre
substance (faits historiques, déterminations, comportements, etc.).
De même que la linguistique s'arrête à la phrase, l'analyse
du récit s'arrête au discours : il faut ensuite passer à une autre sémiotique
On peut dire de la même façon que tout récit est tributaire
d'une « situation de récit », ensemble des protocoles selon lesquels le récit
est consommé. Dans les sociétés dites « archaïques », la situation de récit est
fortement codée3tique.
Escamoter le codage de la situation de récit
romans par lettres, manuscrits prétendument retrouvés,
auteur qui a rencontré le narrateur, films qui lancent leur histoire avant le
générique. La répugnance à afficher ses codes marque la société bourgeoise et
la culture de masse qui en est issue : à l'une et à l'autre, il faut des signes
qui n'aient pas l'air de signes.
Le récit comme parole d'une langue qui prévoit et porte son
propre métalangage.
. LE SYSTÈME DU RÉCIT
La langue proprement dite peut être définie par le concours
de deux procès fondamentaux : l'articulation, ou segmentation, qui
produit des unités (c'est la forme, selon Benveniste), l'intégration, qui recueille ces unités dans
des unités d'un rang supérieur (c'est le sens). Ce double procès se retrouve
dans la langue du récit; elle aussi connaît une articulation et une
intégration, une forme et un sens.
La forme du récit est essentiellement marquée par deux
pouvoirs : celui de distendre ses signes
يوزع علاماتهle long de
l'histoire, et celui d'insérer dans ces distorsionsتشويه des expansions imprévisibles. Ces deux
pouvoirs apparaissent comme des libertés; mais le propre du récit est
précisément d'inclure ces « écarts » dans sa langue 1.
il y a dystaxie, dès que les signes (d'un message) ne sont
plus simplement juxtaposés, dès que la linéarité (logique) est troublée (le
prédicat précédant par exemple le sujet). Une forme notable de la dystaxie se
rencontre lorsque les parties d'un même signe sont séparées par d'autres signes
le long de la chaîne du message (par exemple, la négation ne jamais et le verbe
a pardonné dans : elle ne nous a jamais pardonné) : le signe étant fractionné,
son signifié est réparti sous plusieurs signifiants, distants les uns des
autres et dont chacun pris à part ne peut être compris. On l'a déjà vu à propos
du niveau fonctionnel
, c'est exactement ce qui se passe dans le récit :
les unités d'une séquence, quoique formant un tout au niveau
de cette séquence même, peuvent être séparées les unes des autres par
l'insertion d'unités qui viennent d'autres séquences
le récit serait une langue fortement synthétique, fondée
essentiellement sur une syntaxe d'emboîtement et d'enveloppement : chaque point
du récit irradie يضيءdans plusieurs directions
à la fois
Cf. Lévi-Strauss (Anthropologie structurale, p. 234) : a Des
relations qui proviennent du même paquet peuvent apparaître à intervalles
éloignés, quand on se place à un point de vue diachronique. » — A. J. Greimas a
insisté sur l'écartement des fonctions (Sémantique structurale)
l'unité est « prise » par tout le récit, mais aussi le récit
ne « tient » que par la distorsion et l'irradiation de ses unités
en maintenant une séquence ouverte (par des procédés
emphatiques de retard et de relance), il renforce le contact avec le lecteur
(l'au« diteur), détient une fonction manifestement phatique; et d'autre part,
il lui offre la menace d'une séquence inaccomplie, d'un paradigme ouvert (si,
comme nous le croyons, toute séquence a deux pôles), c'est-à-dire d'un trouble
logique, et c'est ce trouble qui est consommé avec angoisse et plaisir
(d'autant qu'il est toujours, finalement, réparé)
le « suspense » capture par 1* « esprit », non par les a
tripes »
Ce qui peut être séparé, peut être aussi rempli.
D'une part, une fonction (il prit un repas substantiel) peut
économiser toutes les catalyses virtuelles qu'elle recèle (le détail du repas)
l est possible de réduire une séquence à ses noyaux et une
hiérarchie de séquences à ses termes supérieurs, sans altérer le sens de
l'histoire
le récit s'offre au résumé
première vue, il en est ainsi de tout discours ; mais chaque
discours a son type de résumé
on ne peut résumer un poème.
On altère le récit transformé en film
Dans la langue du récit, le second procès important, c'est
l'intégration : ce qui a été disjoint à un certain niveau (une séquence, par
exemple) est rejoint le plus souvent à un niveau supérieur
la complexité d'un récit peut se comparer à celle d'un
organigramme, capable d'intégrer les retours en arrière et les sauts en avant;
ou plus exactement, c'est l'intégration, sous des formes variées,c'est elle qui
permet d'orienter la compréhension d'éléments discontinus, contigus et
hétérogènes (tels qu'ils sont donnés par le syntagme, qui, lui ne connaît
qu'une seule dimension : la succession)
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